Bernard Assiniwi

Sagana : contes fantastiques du pays algonkin

QuĂ©bec   1972

Genre de texte
Conte

Contexte
Extrait du conte «Chagnan» : Le jeune homme malhabile et le canot volant (p. 19-30).

La vision de son père (qu’il n’a jamais connu) mort noyé permet surtout d’annoncer, par la force de concentration contenue en Chagnan, ses pouvoirs télépathiques, télékinésiques, psychokinésiques et lévitationnels qu’il découvrira un peu plus tard et qui seront, pour lui et son peuple, source de salut.

Notes
Selon le lexique des mots indiens contenu dans Sagana : contes fantastiques du pays algonkin :

CHAGNAN :«Appellation populaire chez les Cris du nord désignant gentiment un jeune homme maladroit.»

MATCHI-MANITO :Le mauvais esprit

ANISH-NAH-BÉS :L’homme, l’indien, l’être humain

ANISH-NAH-BÉ : L’homme, l’indien, l’être humain

WIG-WHOM :Habitation d’écorce

Édition originale
Bernard Assiniwi et Isabelle Myre, Sagana : contes fantastiques du pays algonkin, Montréal, Leméac, coll. «Ni-T’Chawama / Mon ami mon frère» 1972, p. 19-20.




Le jeune homme malhabile

Vision de Chagnan

Narrateur :
Il était toujours seul…
Seul à la chasse…
Seul à la pêche…
Seul à la construction de son canot…
Seul à la construction de son arc et de ses flèches…
Seul au nettoyage des peaux…
Seul sur sa couche…
On l’appelait CHAGNAN.

La main ajustait-elle la flèche sur l’arc tendu ; le canot s’enfonçait-il dans la brume d’aube du lac ; alors une vision hantait parfois l’esprit de CHAGNAN.
Sur la grande étendue de la rivière MATCHI-MANITO revêtue de sa couverture d’hiver, la forme lointaine d’un homme chaussé de raquettes s’avançait vers lui. Puis sans un bruit, lentement, la glace de la rivière se fendait en son milieu. Et le corps de l’homme s’enfonçait sous les débris.
Et une immense détresse submergeait CHAGNAN.
À son insu, il s’absorbait ces jours-là dans la contemplation de cette forme minuscule qui avait été... et n’était plus. Il pensait à cet ANISH-NAH-BÉ mort dans la force de l’âge. Il le repensait, tout petit, perdu au loin sur la blancheur du lac. Il ne conservait de son père aucun souvenir… même vague. Une histoire… seulement.
La vision naissait-elle en forêt? Les animaux venaient sans crainte tout près de CHAGNAN.
Se produisait-elle au lac? Les poissons montaient en surface et jouaient aux flancs du canot.
Le poids léger d’un oiseau parfois juché sur son épaule paraissait alors naturel à CHAGNAN. L’eau du lac grouillait de vie.
Jamais ne naissait la pensée de tuer. «Aussi inhabile à la chasse que maladroit à la pêche», disaient de CHAGNAN ses frères ANISH-NAH-BÉS. À la période des fêtes d’abondance, aucune femme, jamais, ne l’invitait à la danse du hibou. Et aux fêtes du soleil, il demeurait absent pour l’accomplissement des rites du guerrier.
CHAGNAN avait grandi seul.
La disparition prématurée du compagnon auquel elle était profondément attachée avait troublé l’esprit de sa mère. L’enfant avait alors partagé le WIG-WHOM de son grand-père. Mais depuis longtemps déjà l’esprit du vieil homme avait cessé de le guider dans ses raisonnements et, peu à peu, ses yeux s’étaient voilés.

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