Jorge Luis Borges
L’écriture du dieu Genre de texte Contexte Notes Texte original Texte témoin
Ce rêve est celui que fait le mage Tzinacan alors qu’il est enfermé dans une prison et cherche à déchiffrer le nom divin que forment les rayures sur la peau du jaguar.
La thématique du sable revient fréquemment dans l’œuvre de Borges et a même inspiré un recueil : Le livre de sable.
Œuvres complètes, édition établie par J.P. Bernès, Paris, Gallimard, coll. de La Pléiade, 1993, I, 633.
Le grain de sable
Un jour ou une nuit – entre mes jours et mes nuits, quelle différence y a-t-il? – je rêvai que, sur le sol de ma prison, il y avait un grain de sable. Je m’endormis de nouveau, indifférent. Je rêvai que je m’éveillais et qu’il y avait deux grains de sable. Je me rendormis et je rêvai que les grains de sable étaient trois. Ils se multiplièrent ainsi jusqu’à emplir la prison, et moi, je mourais sous cet hémisphère de sable. Je compris que j’étais en train de rêver, je me réveillai au prix d’un grand effort. Me réveiller fut inutile : le sable innombrable m’étouffait. Quelqu’un me dit : « Tu ne t’es pas réveillé à la veille, mais à un songe antérieur. Ce rêve est à l’intérieur d’un autre, et ainsi de suite à l’infini, qui est le nombre des grains de sable. Le chemin que tu devras rebrousser est interminable; tu mourras avant de t’être réveillé réellement. »
Je me sentis perdu. Le sable me brisait la bouche, mais criai : « Un sable rêvé ne peut pas me tuer et il n’y a pas de rêves qui soient dans d’autres rêves. » Une lueur me réveilla.