Homère

L’Odyssée

Grèce   -800

Genre de texte
épopée

Contexte
Cet épisode a lieu dans la première partie de l’épopée, le «Voyage de Télémaque» (ou «Télémachie»), aux vers 795 à 841 du chant IV. Dix ans ont passé depuis la fin de la guerre de Troie, et donc, vingt ans depuis que les héros grecs ont quitté leur maison. Tous sont rentrés chez eux, sauf Ulysse. Tous, dans son pays d’Ithaque, le croient mort, mais sa femme, Pénélope, refuse toujours de prendre mari parmi les prétendants qui assiègent chaque jour son palais, dilapidant le patrimoine d’Ulysse en banquets et festivités. Cependant, sur le conseil d’Athéna, leur fils, Télémaque, est parti à Pylos et à Sparte pour s’enquérir auprès de Nestor et Ménélas afin de savoir s’ils auraient des nouvelles de son père. Pénélope craint, avec justesse, que son fils ne soit en danger, puisque ses prétendants aimeraient bien le voir mort.

Notes
Ulysse, roi d’Ithaque, Nestor, roi de Pylos et Ménélas, roi de Sparte, sont des héros de la guerre de Troie, racontée par Homère dans l’Iliade. Il peut sembler étrange que Pénélope reçoive en banquet des prétendants qui conspirent contre son fils. La raison est qu’ils sont très nombreux et très puissants. De plus, il n’est pas rare de voir dans les récits grecs quelqu’un courir des risques importants pour recevoir ses hôtes, par peur de la vengeance de Zeus. Quant à Télémaque, Athéna nous révèle à la fin de l’Odyssée qu’elle ne l’envoie pas tant pour se renseigner (elle aurait pu lui apprendre elle-même le sort d’Ulysse) que pour lui donner un bon renom.

Texte original

Texte témoin
Homère, Odyssée, IV, 795-841. Trad. Victor Bérard, coll. Budé, Les Belles Lettres, Paris, 1962,v. 1, p. 127-128, IV, 795-841

Édition originale
Homer, Odyssey, Site Perseus tel que vu le 20/12/04, basé sur Homer, The Odyssey, trad. angl. A. T. Murray, Harvard University Press, London, 1919 (2 volumes)




Premier rêve de Pénélope

Télémaque reviendra

La déesse aux yeux pers eut alors son dessein : elle fit un fantôme et lui donna les traits de l’autre fille du magnanime Icare, la femme d’Eumélos qui résidait à Phères.

Athéna l’envoya, chez le divin Ulysse, pour calmer les soupirs, les sanglots et les pleurs de cette triste et gémissante Pénélope; dans la chambre, il entra par la courroie de barre et, debout au chevet de la reine, lui dit :

«Pénélope, tu dors, mais le cœur ravagé. Sache bien que les dieux, dont la vie n’est que joie, ne veulent plus entendre tes pleurs et tes sanglots : ton fils doit revenir, car jamais envers eux, il n’a commis de faute.»

Au plus doux du sommeil, à la porte des songes, la plus sage des femmes, Pénélope, reprit :

«Pourquoi viens-tu, ma sœur? tu n’as pas l’habitude de fréquenter ici : ta demeure est si loin!… Tu me dis d’oublier les maux et les alarmes qui viennent harceler mon esprit et mon cœur! J’ai commencé par perdre un époux de vaillance, que son cœur de lion et ses mille vertus avaient fait sans rival parmi les Danaens! et maintenant voici qu’au creux de son vaisseau, le fils de mon amour s’en va, pauvre petit!… que sait-il des dangers?… que sait-il des affaires? Pour lui, plus que pour l’autre encor, je me désole. Je tremble pour ses jours, je redoute un malheur, que ce soit au pays où il voulut se rendre, ou que ce soit en mer! Il a tant d’ennemis qui conspirent sa perte et veulent le tuer avant qu’il ait revu le pays de ses pères!»

Mais le fantôme obscur prit la parole et dit :

«Du courage! ton cœur doit bannir toute crainte. Il a, pour le conduire, un guide que voudraient à leur côtés bien d’autres, car ce guide est puissant : c’est Pallas Athéna. Elle a pris en pitié ton angoisse; c’est elle qui m’envoie t’avertir.

La plus sage des femmes, Pénélope, reprit :

«Si ton être est divin, et divin, ton message, allons! de l’autre aussi conte-moi les misères!… vit-il encor? voit-il la clarté du soleil?… est-il mort et déjà aux maisons de l’Hadès?»

Mais le fantôme, reprenant la parole :

«De lui, je ne saurais te parler clairement. Est-il mort ou vivant : pourquoi te parler à vide?»

Il dit et, se glissant tout le long de la barre, il traversa la porte, disparut dans les airs, et la fille d’Icare, arrachée au sommeil, sentit son cœur renaître, si clair était le songe qu’elle avait vu surgir au profond de la nuit!…

Page d'accueil

- +