Abdoulaye Sadji

Maïmouna

Sénégal   1958

Genre de texte
Roman

Contexte
Le roman raconte l’histoire d’une jeune Sénégalaise de la campagne qui connaît une existence heureuse dans le cadre villageois de Louga, auprès de sa mère Yaye Daro. Cependant, les appels incessants de la sœur aînée Rihanna, mariée à Dakar et soucieuse d’introduire la petite dans la société moderne, développent chez Maïmouna une telle hostilité à l’égard du tout Louga (aussi bien vis-à-vis des êtres que des choses), que sa mère consent, la mort dans l’âme, à la laisser partir pour la ville. Séduite par la métropole, Maïmouna en devient rapidement une des merveilles – elle est surnommée l’Etoile de Dakar – grâce à la science de la toilette dont sa sœur a le secret.

Ce premier extrait, qui se trouve au début du roman (chapitre 2), nous situe dans l’atmosphère qui entoure l’enfance de Maïmouna.

Notes
(1) Tam-tam de guerre et de cérémonie.

Texte témoin
Paris, Présence africaine, 1988, p. 20-21.




Les rêves de Maïmouna

Poursuivie par un taureau

Au bout du rouleau, Maïmouna s’endormit ; elle s’endormait toujours confiante, un de ses bras autour de la taille de Yaye Daro. Bientôt sa petite jambe se soulevait et, brusquement, se détendait. La fillette commençait à mâchonner des riens et à s’étirer comme une couleuvre. Elle rêvait. Elle rêvait d’une mer immense, bordée à perte de vue de coquillages, gros, dodus, éclatants de blancheur. Elle courait sur ce grand tapis de coquillages, en amassait dans des calebasses, dans ses pagnes, n’en pouvait plus d’en ramasser… Un sursaut. Ni mer, ni calebasses, ni coquillages : un rêve. Elle se retournait dans son lit en bougonnant inconsciemment. Le calme intérieur revenait et un autre rêve surgissait plus coloré ou plus terrible. Par exemple, elle avait gagné pour sa poupée, le rêve ne dit pas comment, des malles de soie et des malles de bijoux. Soies multicolores et rares, bijoux que les artisans du village n’avaient jamais fabriqués. Elle avait paré sa «dome» et avait organisé un banquet auquel tout le pays avait assisté «diougnedioung» (1) en tête. Sa «dome» avait pris des proportions et parlait maintenant, recevait les hôtes à côté de Maïmouna, faisait miroiter devant leurs yeux éblouis les brillants les plus riches de la terre.

Mais un cauchemar, souvent, l’agitait au milieu de ses doux rêves : Tableaux antédiluviens, griffes acérées, gueules de feu serties de dents énormes, vapeurs perfides stagnant en des abîmes insondables. Elle se voyait poursuivie par un taureau furieux, et acculée contre le mur de la maison. Enfin des esprits malfaisants, incarnés dans des formes horribles, l’emportaient dans leurs serres en ricanant, vers la grande forêt, loin de sa tendre mère. Ces cauchemars se terminaient par un cri de Maïmouna que sa mère, réveillée, calmait aussitôt. Vers l’aube les rêves la quittaient pour de bon. L’haleine fraîche de la nature pénétrait dans la case avec les premières lueurs du jour, et le petit corps sombrait dans un sommeil heureux.

La mère Doro interprétait défavorablement ces cauchemars. Elle était superstitieuse comme toutes les mères noires. Pour elle, chaque rêve avait sa signification et recommandait soit une aumône, soit un talisman. Chaque fois qu’au réveil Maïmouna lui narrait ses terreurs de la nuit, elle en plaisantait avec elle, pour rire et surtout pour la rassurer. Mais secrètement, elle allait voir le marabout ou le féticheur. Leur conclusion était toujours la même : un maléfice accompagnait le rêve le plus innocent. Il fallait sacrifier un poulet blanc ou faire aumône d’un peu de lait caillé ou de noix de kolas. Parfois la vieille rapportait de ses visites des sachets de poudre et des boules de papier qu’elle fixait au corps de Maïmouna, ce qui accroissait sans cesse le nombre déjà considérable de ses amulettes.

Un jour, elle s’en ouvrit clairement à la petite. Partout où elle avait consulté, les devins lui avaient dit : «Que Maïmouna se débarrasse d’une certaine enfant noire qui a même âge qu’elle et dont la maison est à proximité de la vôtre. Qu’elle évite sa compagnie. Elles n’ont ni la même tête, ni le même œil. C’est cette enfant si attachée à Maïmouna qui, par un pouvoir héréditaire de sorcellerie, trouble le sommeil de ses nuits».

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