Bernard Assiniwi

Sagana : contes fantastiques du pays algonkin

QuĂ©bec   1972

Genre de texte
Conte

Contexte
Extrait du conte «Tibishkwé-Gimind» : Pareille à la mère était la fille (p. 31-44).

Ce rêve nocturne prémonitoire pousse Pawi-Payim, «la toute menue», la fille qui était pareille à la mère, et dont le compagnon est parti un jour à la chasse pour ne plus jamais revenir, à aller rejoindre l’homme «aveugle» de l’île qui l’a sauvée alors qu’elle était perdue sur cette île.

Notes
Selon le lexique des mots indiens contenu dans Sagana : contes fantastiques du pays algonkin :

TIBISHKWÉ-GIMIND : «Pareille à la mère était la fille»

WASKWEY-OSI : Canot d’écorce

WINNIPEKOK : L’eau sale – l’eau boueuse

PAWI-PAYIW : La toute menue

IYINIWOK : Les vrais hommes

Édition originale
Bernard Assiniwi et Isabelle Myre, Sagana : contes fantastiques du pays algonkin, Montréal, Leméac, coll. «Ni-T’Chawama / Mon ami mon frère» 1972, p. 42-44.




Songe prémonitoire

Le don des huards

Narrateur : La fille embarqua dans son WASKWEY-OSI et avironna vers la terre ferme. En peu de temps, elle fut de retour à la bourgade. Son absence n’avait inquiété personne, pas même la mère pareille à la fille.

Le souvenir de l’homme demeuré seul sur l’île du lac WINNIPEKOK commença à s’imposer à l’esprit de la fille.

Cette nuit-là, elle eut un songe. Deux magnifiques huards du lac WINNIPEKOK, un mâle à collier et une femelle tachetée, apparurent. Le mâle s’adressa à l’homme aveugle.

Le huard: Prends-moi par le cou, fais de mĂŞme avec ma compagne et aie confiance.
Narrateur : Les deux huards prirent leur envol avec l’homme à leurs cous, au-dessus de la grande étendue d’eau boueuse, et soudain piquèrent dans le lac. À la sortie, le mâle regarda l’homme :
Le huard: Tes yeux commencent-ils à distinguer la lumière?
L’homme: Un brouillard les voile encore.
Narrateur : Et les deux huards de replonger à nouveau. Des cris de joie saluèrent cette seconde émersion.
L’homme: Mes yeux voient le jour. Mes yeux voient les flots. Mes yeux vous voient, mes amis.
Narrateur : Les deux huards disparurent.
L’homme: PAWI-PAYIW, PAWI-PAYIW, viens, viens me rejoindre dans l’île. Mes yeux voient maintenant. Et c’est de ton image qu’ils veulent se griser pour la première fois.

Narrateur : Au matin, poussé par son rêve nocturne, la fille courut à son WASKWEY-OSI et avironna vers l’île du lac WINNIPEKOK.

Elle ne revint jamais plus à la bourgade, cette fille pareille à la mère pareille à la fille.

Au dire des femmes, elle rejoignit l’homme de l’île et il l’emmena dans un monde de paix à l’exemple de leur grande compréhension mutuelle.

Les vieux conteurs, eux, ont une opinion quelque peu différente. L’homme et la fille, disent-ils, adoptèrent le mode de vie des huards qui avaient rendu ses yeux à l’aveugle abandonné sur l’île.

C’est pourquoi les IYINIWOK ne tuèrent plus jamais de huards après cette aventure. Bien plus, à la fonte de la couverture de froid des lacs, on appelle «La promenade des amoureux de l’île» la sortie par couple de ces oiseaux.

Tellement pareille à la mère était la fille, incapable de vivre malheureuse.

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