Gérard de Nerval

Voyage en Orient

France   1851

Genre de texte
récit de voyage

Contexte
Le rêve se situe dans la partie intitulée « Les Femmes du Caire » qui compte VII sections. Ce passage se trouve au milieu de la section III, « Le Harem », au chapitre VI, « L’île de Roddah ».

En voyage en Égypte, le narrateur explore, en compagnie du consul, l’île de Roddah qui se trouve sur le Nil. Au nord de l’île, ils grimpent jusqu’à un belvédère d’où ils aperçoivent les trois pyramides. Impressionné, le narrateur demande au cheik Abou-Khaled, un poète et philosophe arabe qui les accompagne, quand ont été bâties ces constructions. Le cheik lui raconte alors cette légende.


«Une forme angulaire prête à soutenir même le choc des astres».

Texte témoin
Tome I : Europe centrale. Égypte, Paris, éditions Julliard, 1964, p. 258-259.




Le rêve du prêtre Akliman

Mesures des pyramides

« Quelques auteurs pensent que les pyramides ont été bâties par le roi préadamite Gian-ben-Gian; mais, à en croire une tradition plus répandue chez nous, il existait, trois cents ans avant le déluge, un roi nommé Saurid, fils de Salahoc, qui songea une nuit que tout se renversait sur la terre, les hommes tombant sur leur visage et les maisons sur les hommes; les astres s’entrechoquaient dans le ciel, et leurs débris, couvraient le sol à une grande hauteur. Le roi s’éveilla tout épouvanté, entra dans le temple du Soleil, et resta longtemps à baigner ses joues et à pleurer; ensuite il convoqua les prêtres et les devins. Le prêtre Akliman, le plus savant d'entre eux, lui déclara qu'il avait fait lui-même un rêve semblable.

“J'ai songé, dit-il, que j'étais avec vous sur une montagne, et que je voyais le ciel abaissé au point qu'il approchait du sommet de nos têtes, et que le peuple courait à vous en foule comme à son refuge; qu'alors vous élevâtes les mains au-dessus de vous et tâchiez de repousser le ciel pour l'empêcher de s'abaisser davantage, et que moi, vous voyant agir, je faisais aussi de même. En ce moment, une voix sortit du soleil qui nous dit : ‘Le ciel retournera en sa place ordinaire lorsque j'aurai fait trois cents tours.’”

Le prêtre ayant parlé ainsi, le roi Saurid fit prendre les hauteurs des astres et rechercher quel accident ils promettaient. On calcula qu’il devait y avoir d’abord un déluge d’eau et plus tard un déluge de feu. Ce fut alors que le roi fit construire les pyramides dans cette forme angulaire prête à soutenir même le choc des astres, et poser ces pierres énormes, reliées par les pivots de fer et taillées avec une précision telle, que ni le feu du ciel ni le déluge ne pouvaient certes les pénétrer. Là devaient se réfugier au besoin le roi et les grands du royaume, avec les livres et images des sciences, les talismans et tout ce qu’il importait de conserver pour l’avenir de la race humaine. »

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