Jean Cocteau

Les Enfants terribles

France   1925

Genre de texte
roman

Contexte
Au tout début du dernier chapitre, quelques pages avant la fin du roman.

Orphelins depuis peu, Paul et Élisabeth sont frère et soeur. Paul tombe malade et ne fréquente plus l'école, il est donc sous la tutelle de sa soeur aînée. Ils mènent entre eux une lutte de pouvoir et de manipulation. S'ajoutent à leur duo Gérard, leur cousin qui est amoureux d'Élisabeth, et Agathe, une amie, qui pour sa part aime Paul. Au moment où survient le rêve de la soeur aînée, les quatre personnages vivent sous le même toit. Agathe et Gérard sont mariés, à cause d'une tromperie d'Élisabeth qui les a jetés dans les bras l'un de l'autre. Paul est à nouveau malade.

Notes
Paul : frère d'Élisabeth, de deux ans son cadet.

Morne : mot créole désignant une petite montagne isolée de forme arrondie.

Agathe: amie de Paul et d'Élisabeth. Orpheline comme eux, elle est amoureuse de Paul.

Texte témoin
Jean Cocteau, les Enfants terribles , Paris, Flammarion, 1929, p. 58-59.

Édition originale
Jean Cocteau, les Enfants terribles, Paris, Grasset, 1925.

Édition critique
Jean Cocteau, Romans, poésies, Å“uvres diverses, éd. Bernard Benech, Paris, Le Livre de Poche (coll. « La Pochothèque », « Classiques Modernes »), 1995, p. 178-179.




Le cauchemar d'Élisabeth

Elle vient de mourir

Élisabeth dormait et faisait ce rêve : Paul* était mort. Elle traversait une forêt pareille à la galerie, car, entre les arbres, l'éclairage tombait de hautes vitres séparées par de l'ombre. Elle voyait le billard, des chaises, des tables meublant une clairière, et elle pensait : « Il faut que j'atteigne le morne*». Dans ce rêve, le morne devenait le nom du billard. Elle marchait, voletait, ne parvenait pas à l'atteindre. Elle se couchait de fatigue, s'endormait. Soudain Paul la réveillait.

— Paul, s'écriait-elle, oh! Paul, tu n'es donc pas mort?

Et Paul répondait :

— Si, je suis mort, mais tu viens de mourir; c'est pourquoi tu peux me voir et nous vivrons toujours ensemble.

Ils repartaient. Après une longue marche, ils atteignaient le morne.

— Écoute, dit Paul (il posait le doigt sur le marqueur automatique), Écoute la sonnette d'adieux. Le marqueur marquait à toute vitesse, emplissait la clairière d'un crépitement de télégraphe...

Élisabeth se retrouva inondée de transpiration, hagarde, assise sur son lit. Une sonnette carillonnait. Elle pensa que l'hôtel était sans domestiques. Sous l'influence du cauchemar, elle descendit les étages. Une rafale blanche jeta dans le vestibule Agathe* échevelée, criant :

— Et Paul?

Élisabeth se retrouvait, se décollait du rêve.

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