Sade

Les Crimes de l’amour

France   1787

Genre de texte
nouvelle

Contexte
Mlle de Faxelange est secrètement amoureuse de Goé, mais ses parents la destinent à Franlo, un homme apparemment très riche, mais dont les antécédents ne sont pas nets. Mlle de Faxelange épousera cependant Franlo par coquetterie, mais découvrira très vite que celui-ci est un être parfaitement immoral à la tête d’une bande de brigands. Elle est contrainte à participer à ses crimes jusqu’au jour où une troupe de gendarmes conduite par Goé vienne la délivrer.

Notes
Sa tendresse : il s’agit de Goé, qui l’aime en secret.

Texte témoin
«Faxelange ou Les torts de l’ambition». Les Crimes de l’amour, Paris, LGF, 1994.




Psychologie du rêve

Faxelange

Il restait pourtant à Mlle de Faxelange des moments de souvenirs, où des larmes coulaient involontairement ; elle éprouvait des remords affreux de trahir ainsi le premier objet de sa tendresse *, celui qu’elle avait tant aimé depuis son enfance...«qu’a-t-il donc fait pour mériter un tel abandon de ma part ? se demandait-elle avec douleur. A-t-il cessé de m’adorer ?... hélas, non, et je le trahis... et pour qui, grand dieu : pour qui ?... pour un homme que je ne connais point... qui me séduit par son faste... et qui me fera peut-être payer bien cher cette gloire où je sacrifie mon amour... ah : les vaines fleurettes qui me séduisent... valent-elles ces expressions délicieuses de Goé... ces serments si sacrés de m’adorer toujours... ces larmes du sentiments qui les accompagnent... O Dieu : que de regrets, si j’allais être trompée !» Mais pendant toutes ces réflexions, on parait la divinité pour une fête, on l’embellissait des présents de Franlo, et elle oubliait ses remords.

Une nuit, elle rêva que son prétendu, transformé en bête féroce, la précipitait dans un gouffre de sang où surnageait une foule de cadavres, elle élevait en vain sa voix pour obtenir des secours de son mari, il ne l’écoutait pas... Goé survient, il la retire, il l’abandonne... elle s’évanouit... Ce rêve affreux la rendit malade deux jours ; une nuovelle fête dissipa ces farouches illusions et Mlle de Faxelange, séduite, fut au point de s’en vouloir à elle-même de l’impression qu’elle avait pu ressentir de ce chimérique rêve.*

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* Les rêves sont des mouvements secrets qu’on ne met pas assez à leur vraie place; la moitié des hommes s’en moque, l’autre portion y ajoute foi; il n’y aurait aucun inconvénient à les écouter, et à s’y rendre même dans le cas que je vais dire. Lorsque nous attendons le résultat d’un événement quelconque, et que la manière dont il doit succéder pour nous, nous occupe tout le long du jour, nous y rêvons très certainement ; or, notre esprit alors, uniquement occupé de son objet, nous fait presque toujours voir une des faces de cet événement où nous n’avons souvent pas pensé pendant la veille, et dans ce cas, quelle superstition, quel inconvénient, quelle faute enfin contre la philosophie y aurait-il à classer dans le nombre des résultats de l’événement attendu, celui que le rêve nous a offert, et à se conduire en conséquence. Il me semble que ce ne serait qu’un surcroît de sagesse ; car enfin, ce rêve, est sur le résultat de l’événement en question, un des efforts de l’esprit, qui nous ouvre et indique une face nouvelle à l’événement ; que cet effort se fasse en dormant, ou en veillant, qu’importe : voilà toujours une des combinaisons trouvées, et tout ce que vous ferez en raison d’elle ne peut jamais être une folie et ne doit être jamais accusé de superstition. L’ignorance de nos pères les conduisait sans doute à de grandes absurdités ; mais croit-on que la philosophie n’ait pas aussi ses écueils ; à force d’analyser la nature, nous ressemblons au chimiste qui se ruine pour faire un peu d’or. Elaguons, mais n’anéantissons pas tout, parce qu’il y a dans la nature des choses très singulières et que nous ne devinerons jamais. [Note de l’auteur]

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