Jacques Chessex

Judas le transparent

Suisse   1982

Genre de texte
roman

Texte témoin
Paris : Grasset, 1982, p. 89-90.




Le rĂŞve de Virginia

Un serpent nu

— Tu as vu un serpent, Virginia?
— Oui, Seigneur. J'ai vu une vipère.
— Et que t'a fait cette vipère?
— Rien, Seigneur. Elle ne m'a rien fait. Pourquoi m'aurait-elle fait quelque chose?
— Tu sais ce que je veux dire, Virginia. Ce serpent nu. Au grand soleil.
— Et alors, Seigneur? Je t'ai répondu. J'ai vu un serpent et il ne m'a rien fait parce que je suis partie.
— Tu mens, Virginia. Tu es partie, c'est vrai, parce qu'on t'a entraînée loin de ce serpent. Mais auparavant la bête t'a empoisonnée, Virginia, elle t'a mordue aux yeux et au ventre et depuis tu ne te débarrasses pas de cette brûlure. Tu y penses tout le temps, Virginia, à la vipère nue au soleil, et son venin irrite ton regard et ton sang. Et ton esprit, Virginia? Nieras-tu qu'il est empoisonné lui aussi?
— Je ne le nierai pas, Seigneur. Depuis que la bête m'a mordue, je me tords sur ma couche et je ne songe qu'à lui rendre son baiser.
— C'est mal, Virginia. Tu sais parfaitement que j'ai maudit le serpent, et tu sais pourquoi. Tu ne mangeras pas le fruit qu'il te proposera, Virginia, ou qu'il te forcera à prendre dans ta bouche par contrainte ou par parole empoisonnée!
— Je ne porterai pas le fruit à ma bouche, Seigneur. J'obéirai.

Puis je me suis éveillée trempée, fiévreuse, avec un violent mal de tête. L'aube du dimanche des Rameaux. Quel drôle de rêve.

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