Dante

Vie nouvelle

Italie   1294

Genre de texte
Prose et vers

Contexte
Ce rêve apparaît au début de la Vita nuova ou Vie nouvelle, publiée à titre posthume. La date de 1283 est ici donnée à titre indicatif comme la date à laquelle Dante aurait eu ce rêve, alors qu’il avait 18 ans.
Dante avait aperçu Béatrice pour la première fois alors qu’il avait neuf ans, un an après la mort de sa mère. Elle était alors vêtue d’une robe couleur rouge sang. Il nourrira dès lors pour elle un amour idéal.
Ce rêve survient au lendemain de la deuxième rencontre avec Béatrice, alors que vêtue de blanc, elle s’est approchée du jeune homme pour le saluer. Dante aurait rédigé ce poème au lendemain de la rencontre.

Notes
La phrase Ego dominus tuus signifie Je suis ton maître. Elle rappelle le sentiment que Dante avait eu lors de la première vision de Béatrice qu’il se trouvait «devant un dieu plus puissant que moi, qui venant me dominera». Il s’agit du dieu Amour.

La phrase Vide cor tuum signifie Vois ton cœur. Comme le note Gisèle Chaboudez, tout indique que nous nous trouvons ici devant le thème fréquent en poésie courtoise du «cœur mangé» : le mari jaloux fait manger à sa femme le cœur de son amant. Lorsque la femme en prend conscience, elle se donne la mort. Selon la même analyste, le jeune homme a été bouleversé par le fait que Béatrice se soit approchée de lui et lui ait adressé la parole : «Sous le désirable, sous le signifiant fille d’un dieu aura surgi le désirant, comme un non-sens, et avec lui l’angoisse (p. 24). Autrement dit, «Le rêve serait interprété comme la réponse qu’il constitue au désir que le rêveur a rencontré dans l’autre. Il ne le serait pas seulement en fonction du désir du sujet qui s’y réalise » (p. 35).

Texte original

Texte témoin
Œuvres complètes, Paris, Gallimard, «Bibliothèque de la Pléiade», 1965, p. 8-13.




Rêve de Dante

Le cœur mangé

Et pensant à elle, il me vint un doux sommeil, dans lequel m’apparut une merveilleuse vision : il me semblait voir dans ma chambre une nuée couleur de feu, dedans laquelle je distinguais une figure d’un seigneur d’effrayant aspect à qui l’eût regardé; mais, tel qu’il était, il montrait en lui si grande joie que c’était chose admirable; et dans ses paroles, il disait force choses que je ne comprenais pas, si ce n’est quelques-unes; parmi lesquelles j’entendais celles-ci : «Ego dominus tuus.» Dans ses bras, il me semblait voir une personne dormir, nue, sauf qu’elle me paraissait enveloppée légèrement dans un drap de soie vermeil comme sang. Regardant icelle de toute mon entente, je connus que c’était la dame du salut, qui la veille m’avait daigné saluer. Et dans l’une de ses mains il me semblait que ce seigneur tenait une chose qui brûlait toute, et il me semblait qu’il disait ces mots : «Vide cor tuum.» Et après qu’il était resté un moment, il me semblait qu’il réveillât celle qui dormait; et, de tout son ingénuité tant s’efforçait, qu’il lui faisait manger cette chose, qui brûlait dans sa main et qu’elle mangeait avec crainte. Après cela, sa joie ne tardait pas à se convertir en pleurs très amers; et ainsi pleurant, il recueillait de nouveau cette dame dans ses bras, et avec elle il me semblait qu’il s’en allât vers le ciel, de quoi je souffrais si grande angoisse, que mon frêle sommeil n’y put tenir; ainsi fut-il rompu, et je me trouvai réveillé.

Page d'accueil

- +