Jean-François Marmontel

Contes moraux

France   1761

Genre de texte
conte

Contexte
Le rêve se trouve dans le conte intitulé « La Mauvaise Mère ».

M. de l’Étang, fils de monsieur Corée, a pris une maîtresse que bien des hommes convoitent. Sa maîtresse lui raconte un songe qu’elle a fait, dans le but de se voir offrir des richesses et l’Étang tombe dans le piège.

Texte témoin
Paris, Dabo-Butschert, 1826, T.2, p. 105-106.




Un rêve de courtisane

Comment épuiser la fortune d’un amant

Cette femme charmante avait cependant une faiblesse; elle croyait aux songes. Une nuit elle en avait fait un qui ne pouvait, disait-elle, s’effacer de son esprit. L’étang voulut savoir quel était ce songe qui l’occupait si sérieusement.

– J’ai rêvé, lui dit-elle, que j’étais dans un appartement délicieux : c’était un lit de damas de trois couleurs, une tapisserie et des sofas assortis à ce lit superbe, des trumeaux éblouissants de dorure, des cabinets de boule, des porcelaines du Japon, des magots de la Chine les plus jolis du monde; mais tout cela n’est rien. Une toilette était dressée : je m’approche : qu’ai-je aperçu! Le cœur m’en palpite : un écrin de diamants; et quels diamants encore! L’aigrette la mieux dessinée, les boucles d’oreilles les plus brillantes, le plus bel esclavage, une rivière qui ne finissait pas. Oui, monsieur, je vous le dis, il m’arrivera quelque chose de singulier. Ce songe m’a trop vivement frappée; et mes songes ne me trompent jamais.

M De L’étang eut beau employer toute son éloquence à lui persuader que les songes ne signifiaient rien, elle lui soutint que celui-ci devait signifier quelque chose, et il finit par craindre que quelqu’un de ses rivaux ne proposât de l’effectuer. Il fallut donc capituler, et, à quelques circonstances près, se résoudre à l’accomplir lui-même. L’on juge bien que cette épreuve ne la guérit pas de l’habitude de songer : elle y prit goût, et songea tant, que la fortune du bon homme Corée n’était presque plus elle-même qu’un songe.

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