Cognasse Desjardins

Essai sur les songes

France   1801

Contexte
L’auteur est chef de clinique à l’École de médecine de Montpellier. Il analyse les songes d’un point de vue médical, essentiellement physiologique. Mais sa théorie est assez éclairée et va bien au-delà des positions d’Hippocrate.
Desjardins reconnaît la continuité entre le rêve et les pensées de la veille. Il montre que le rêve peut être produit par une sensation externe ou interne, et que les associations d’idées y jouent un grand rôle. Il anticipe même le fonctionnement symbolique, susceptible de traduire une sensation ou une idée en des représentations de toute sorte. Freud attachera la plus grande importance au fonctionnement symbolique.

Notes
Nous avons transcrit l’original en modernisant l’orthographe, notamment les finales des imparfaits en –oi ont été modernisés en –ai. Mais nous avons conservé l’orthographe originale que l’auteur donne aux mots sémiotique et sémiologie

(1) Probl. Sect. XXX. 10.

(2)De praesagio ex insomniis sumendo….. Liber unus.

(3)De rerum varietate. Liber VIII. Cap. 44.

(4)FERNELII de signis. Cap. XI.

(5)Pathol. spécial. Par. II, Sect. I. Memb. 2.

(6)Renati Descartes, tract. de hom. cum notis DE LA FORGE. Par. 102.

(7)Stahlii, theor. ed. ver. phys. de somno. Par. XI.

(8)Id. Lib. cit. pathol. de habitu caussali ad hemorrhagias producendum.

(9)Dumas, principes de physiol. Tom. II.

(10)Essai analytique sur l’âme. Chap. 23.

(11)CICER. de divinat.

(12)Cette augmentation relative de la sensation pendant le sommeil est un fait connu, remarqué par ARISTOTE. Etenim, dit-il, motus qui luce aguntur, nisi ingentes atque acres agantur, intervenu majorum, qui per vigiliam cientur, incomperti sunt. At inter – dormiendum aliter fit. Parvi enim exilesque motus magni videntur et vehementes….. Tenui enim strepitu auribus percept. suspicamur tum fulminare, tum etiam tonare….. Atque etiam levi inflammatione in aliquod corporis membrum decumbente, per ignem incidere et calescere nobis videmur. ARISTOT. de praesent. per somn.

(13)Bibl. medico pract. tom. 2. pag. 1066.

(14)De insomniis 3.

(15)De praesagio ex insomniis sumendo.

(16)Pathol. Part. II. Sect. I. Memb. 2.

(17)GALIEN cité par PROSPER ALPIN, de praesagio. V et M. Lib. VI. cap. 13.

(18)Lib. cit. etc.

Texte témoin
ESSAI SUR LES SONGES.

Par C.J. Cognasse Desjardins, de Troyes, département de l’Aube, Chef de Clinique de l’Ecole de Médecine de Montpellier. A Montpellier, De l’imprimerie de Jean Martel Ainé, An IX. (Opuscule de 32 pages. BNF)




Une sémiologie des songes

Essai sur les songes

Quisquis de his quae in somnis
obveniunt recte conjectat, is magnant
habere vin ad omnia, ipsa reperiet.
HIPP. de insomniis.

J’ai hésité quelque temps à donner à cet écrit le titre qui lui convient. Je craignais que les gens du monde ne fissent en le voyant un sourire de dédain, et ne prissent cet opuscule pour un traité d’onéiromancie. Mais ces craintes se sont dissipées quand j’ai fait attention que je n’écrivais pas pour eux, et que je devais seulement être lu par des personnes qui connaissent l’influence des affections physiques sur les opérations de l’entendement; qui savent par conséquent que la manière dont celles-ci s’exécutent peut fournir des données précieuses sur la nature de celles-là, et qui se tenant également éloignées des préjugés de toute espèce, se gardent autant de trouver dans les songes l’augure d’événements futurs indépendants du rêveur, que de n’y voir dans tous les cas qu’un jeu de l’imagination sur lequel l’état physique ne puisse avoir aucune action. S’il est prouvé que la manière d’être du corps influe, dans tous les instants de la vie, sur les actes et les affections du principe pensant, cette vérité devient encore moins sujette à contestation, quand on considère l’homme dans le sommeil, où il semble, comme dit Charles Bonet, que l’âme ne soit dans les songes que simple spectatrice, ou au moins qu’elle ne déploie pas sa liberté comme dans la veille.

Au reste, si l’autorité pouvait ajouter quelque chose à la raison, il nous serait facile d’accumuler des citations qui prouveraient l’importance que des philosophes justement célèbres ont donnée à l’examen des songes, et combien ils ont cru qu’ils pouvaient fournir de secours à la séméïotique. Hippocrate n’a pas dédaigné de faire un livre sur ce sujet, et quoiqu’il ait payé tribut à son siècle par des interprétations puériles et superstitieuses, comme Newton le paya au sien par son commentaire sur l’apocalypse, on ne peut méconnaître dans son ouvrage des idées précieuses, qui non seulement ont été utiles à la séméïologie, mais qui ont encore servi de fondement à ce que le plus aimable philosophe de l’antiquité, Platon, nous a laissé sur les songes. Aristote a dit expressément : qui deteriùs, vel animo vel corpore sunt affecti, deteriora somnia concipiunt, quippe cum etiam adfectio corporis faciat ad somnii visionem. Hominis enim morbo laborantis praeposita quoque animi vitiosa sunt, atque etiam propter corporis perturbationem animus quiescere nequit. (1) Galien, imitateur d’Hippocrate, nous a laissé un écrit sur la sémeïotique des songes, où il prouve par des exemples que leur observation peut nous instruire sur l’état du corps. (2) Jérôme Cardan a parlé assez longuement sur les rapports des songes avec le régime et la diathèse de l’individu qui les avait. (3)Il est vrai que les rapsodies dont il a entremêlé les choses raisonnables qu’il a dites à ce sujet, rendent son autorité un peu suspecte. Fernel cherchant les sources où le médecin doit puiser les signes, ne manque pas d’admettre les songes parmi les objets qui peuvent servir à fonder les conjectures sur l’état du corps. (4) Le grand Stahl a fait une attention particulière à leur caractère, quand il a cherché à déterminer la nature des hémorragies. (5) Mais il est inutile d’insister davantage sur ces autorités; quelques considérations physiologiques sur la nature des songes, établiront bien mieux la vérité que je cherche à prouver.

La théorie des songes est si entièrement liée avec celle des opérations de l’esprit, qu’elle a dû suivre tous les changements que les diverses sectes de philosophes et de théologiens ont fait éprouver à la psychologie. L’antiquité reconnut deux espèces de songes, les surnaturels qui, inspirés par quelque divinité, présageaient les grands événements, et les naturels qui n’étaient que la réminiscence de ce qui s’était passé pendant la veille, ou qui résultaient des connaissances que l’âme acquérait sur l’état du corps, lorsque toutes les portes étant fermées aux sensations extérieures, elle se livrait aux soins qu’exigeait le gouvernement de sa maison. Il y avait des jongleurs qui faisaient métier d’expliquer les premiers, et les médecins ne prenaient en considération que les seconds. Cette doctrine consignée dans divers endroits des ouvrages de Platon, se trouve exactement dans le livre d’Hippocrate sur les songes. Je crois devoir transposer les passes, afin de les accommoder à l’ordre dans lequel je l’ai présenté, et de prouver que je n’ai rien ajouté. Quaecumque quidem somnia divina sunt et quaedam eventura significant, aut urbibus aut populo privato…… De hujus modi sunt qui judicant certam artem habentes. Plus bas : quaecumque insomnia mens hominis in noctem per somnum offert de diurnis actionibus, haec homini bona sunt, etc….. Anima enim vigilat et cum corpori inservit, in multas partes distributa non sui juris est….. Quum autem corpus quiescit anima in motu est, et corporis partes perreptans, domum suam guvernat, et omnes corporis actiones ipsa perficit.

Les esprits forts de ce temps-là se dégoûtèrent facilement de cette distinction entre les songes naturels et surnaturels; les gens du monde même et ceux qui n’étaient pas médecins, regardèrent les songes comme un jeu de l’imagination qui retraçait les objets dont elle avait été le plus vivement frappée, et sur lesquels le corps n’avait aucune part. On connaît les beaux vers dans lesquels Pétrone a exprimé son opinion à ce sujet.

Somnia quae mentes ludunt volitantibus umbris,
Non delubra deûm, nec ab oethere numina mittunt,
Sed sibi quisque facit : nam cum prostrata sopore
Urget membra quies, et mens sine pondere ludit :
Quidquid luce fuit, tenebris agit. Oppida bello
Qui quatit et flammas miserandas saevit in urbes :
Tela videt, versasque acies et funera regum,
Atque exundantes profuso sanguine campos.
Quin causas orare solent, legesque forumque,
Et pavidi cernunt inclusum corde tribunal.
Condit avarus opes, defossum que invenit aurum.
Venator saltus canibus quatit; eripit undis
Aut premit eversam periturus navita puppim.
Scribit amatori meretrix; dat adultera munus.
Et canis in somnis leporis vestigia latrat.
In noctis spatium miserorum vulnera durant.
Lorsque des religions plus sévères que la païenne sont venues mettre des entraves à la manière de penser des philosophes, et placer la psychologie sous la dépendance de la théologie, on a vu les écrivains n’oser s’exprimer librement, et laisser même des contradictions dans leurs théories.
Les Cartésiens ont fait dépendre les songes de quatre causes, I.o de l’action de l’âme; 2.o du mouvement des esprits animaux; 3.o de l’action des objets extérieurs; 4.o des traces des idées gravées dans la mémoire. (6) Mais comme ils se sont principalement occupés du soin de faire concorder les faits avec la fameuse hypothèse des esprits animaux, ils ne nous ont rien appris ni sur l’histoire des songes, ni sur l’usage qu’on pouvait en faire dans la science de l’homme physique.
L’école de Stahl renouvela le sentiment d’Hippocrate, et regarda les songes ou comme la prolongation des idées de la veille, et comme l’effet d’un sommeil léger dans lequel les sens externes seuls sont assoupis, tandis que les internes conservent leur activité, (7) ou comme l’effet des sollicitudes de l’âme pour le corps qui est son instrument, et dans lequel elle aperçoit une cause de maladie ou de destruction. (8) Cette manière d’envisager les songes est sans contredit médicinale; je crois même que tout ce qu’on peut dire de raisonnable sur cette matière doit rentrer dans cette théorie : on peut seulement l’exprimer d’une manière plus accommodée à notre philosophie, et éloigner cette idée d’une âme prévoyante qui connaissant le secret de notre existence physique sait user des moyens efficaces pour la conserver, idée contre laquelle les Vitalistes ont dirigé les plus grands reproches. Je vais donc exposer mon sentiment qui ne s’éloignera pas beaucoup du précédent, mais je le présenterai dans un langage plus exact, dégagé de toute idée hypothétique, et fondé sur des faits connus.

Je dois d’abord invoquer des faits sur lesquels l’observation ne laisse aucun doute; je tâcherai ensuite d’analyser les songes, et de prouver qu’ils sont le résultat indispensable du concours des lois par lesquelles ces faits s’exécutent.

I.o Puisque nous ne sentons que par le moyen de nos organes, on peut dire que la sensation est la suite d’une modification corporelle; nous ne savons pas toujours en quoi consiste cette modification; cependant il paraît que la soif est la suite de la sécheresse de l’œsophage; la douleur celle de l’augmentation ou de la diminution excessive de la cohésion des solides, (9) etc. Ces changements peuvent tenir eux-mêmes à l’état des forces toniques, et à la présence des diverses humeurs introduites du dehors ou engendrées par l’action de la vitalité. Dans la production des sensations externes, la modification corporelle est ordinairement l’effet d’une impression faite par un objet extérieur. Cependant nous concevons que si cette modification pouvait se produire par les forces intrinsèques du corps et sans la participation des objets étrangers, la sensation aurait également lieu. C’est ce qu’on a vu assez souvent, et dont on trouve des observations dans tous les traités de médecine et de physiologie. Pinel rapporte l’histoire d’une femme qui, lorsqu’elle prenait certaine attitude, entendait une voix qui lui parlait distinctement, et prononçait des mots qu’elle eût pu écrire sous sa dictée. Charles Bonet raconte que Lullin son aïeul maternel, homme plein de santé, de candeur et de mémoire, «apercevait de temps en temps devant lui, et indépendamment de toute impression du dehors, des figures d’hommes, de femmes, d’oiseaux, de voitures, de bâtiments, etc.» Et qu’il était obligé souvent d’interrompre sa conversation pour contempler ces objets qui passaient devant ses yeux. (10) Il est donc nécessaire d’admettre que nous portons en nous-mêmes le pouvoir de produire, sans la participation de la volonté, les modifications corporelles auxquelles tiennent les sensations, et que pour éprouver ces dernières il n’est pas besoin d’une impression étrangère.
2.o Toutes les sensations ne laissent pas après elles la même trace. Les unes produisent dans l’esprit une image qu’il contemple à volonté sans aucune modification corporelle; les autres ne laissent que le souvenir des circonstances qui ont accompagné leur perception, comme du plaisir ou de la peine qui l’a suivie, sans qu’il soit possible à l’imagination de les reproduire elles-mêmes. Les traces qui laissent les premières sont ce qu’on appelle idées. Les sensations qui nous viennent par la vue et l’ouïe sont suivies de ces dernières que l’imagination représente facilement. Celles perçues par le toucher produisent des idées moins parfaites; quant aux sensations intérieures, et celles que l’odorat et le goût nous procurent, elles ne forment aucune image, et il est impossible de les retracer à volonté; leur perfection nécessite la modification organique à laquelle les sensations dépendent primitivement.
3.o Il est une autre loi de la sensibilité qui est la source d’un nombre infini de modifications qu’on observe dans l’exercice des fonctions de l’entendement : c’est la cause qui associe nos sensations et nos idées, de telle manière que nous ne pouvons plus avoir séparément une sensation ou une idée, que nous sommes accoutumés à percevoir avec une autre, et que la première appelle promptement la seconde, lors même que la cause excitante de celle-ci est absente. Le fait de l’association des sensations est trop connu pour qu’il soit nécessaire d’en rapporter des exemples; quant à son explication, elle est impossible : c’est un de ces faits primitifs auxquels on cherche à ramener tous les autres. Au reste, son observation exacte présente des singularités qui étonnent, et dont il serait quelquefois bien difficile de rendre raison. Par exemple, j’ai vu à Troyes un sourd et muet donner des marques de la plus grande sensibilité pour la musique. Voici le fait : on connaît les expériences qui prouvent que le fer est conducteur de son. Je mis un jour une clef dans la bouche de ce sourd et muet; je le fis approcher assez d’une harpe dont une personne allait jouer, pour qu’une extrémité de la clef touchât l’instrument, pendant que l’autre était placée entre les dents. Le musicien exécuta sur la harpe un adagio fort triste; pendant ce temps le sourd donna des signes non équivoques d’attendrissement. A ce morceau succéda un allegretto assez animé, et la figure du sujet de mon expérience devint tout à coup riante, au grand étonnement des assistants. Personne ne croira que cet homme a pu recevoir l’impression que produit la mélodie en vertu des intervalles. La sensation qu’il a éprouvée s’est bornée, comme d’autres expériences le prouvent, à un trémoussement que chaque note répétait. Tout l’effet paraît donc devoir être attribué au rythme. Or, je demande quel rapport aperçoit le commun des hommes entre la sensation du rythme, et celle de tristesse ou de joie.
4.o La simultanéité de perception n’est pas une condition nécessaire pour l’association des idées : cette union peut encore avoir lieu par d’autres moyens. Lorsque deux idées, d’ailleurs très différentes, ont un rapport entre elles, comme d’avoir été perçues dans le même lieu quoique dans des temps divers, d’intéresser l’affectibilité de la même manière, etc. ce rapport, quel qu’il soit, sert de moyen d’union. Ainsi l’idée d’une belle cascade et celle du Poète Pétrarque, sont bien disparates; cependant la première me rappelle Vaucluse, et puis-je me transporter dans ce lieu charmant sans y voir l’image de celui qui le rendit si longtemps témoin de ses soupirs; de même, l’idée de la mélancolie dans laquelle me plongeait continuellement l’éloignement d’une épouse chérie, ne réveillera-t-elle pas aussitôt en moi le délicieux souvenir de celui dont l’attentive amitié soulageait mon cœur, affranchissait mon esprit, et me rendait à l’étude des sciences dont il possède si bien le séduisant langage.
Comme il existe entre les idées les plus opposées quelque rapport, il n’est pas étonnant que des personnes d’esprit sachent se rendre maîtres d’une conversation, et la tourner adroitement vers l’objet qu’ils auront en vue, sans que des interlocuteurs aperçoivent la moindre transition brusque. Il n’est pas étonnant non plus que lorsqu’on s’abandonne nonchalamment à ses idées, sans s’occuper d’un objet déterminé, on passe successivement à des choses qui n’ont qu’une légère liaison, et qu’au bout d’un quart d’heure de rêverie on se trouve aux antipodes de la première idée qu’on avait.

Si l’on a cru que cette digression m’éloignait de mon sujet, on s’est trompé; elle était indispensable pour éclaircir ce que j’ai à dire sur la théorie des songes. Je vais actuellement faire usage de ces faits pour rendre raison de la fonction qui nous occupe.
Un songe me paraît une chaîne d’idées associées d’une manière plus ou moins éloignée, dont le premier chaînon est I.o une idée continue avec les pensées qui occupaient avant le sommeil; 2.o ou une sensation excitée par une impression extérieure qui n’a pas été suffisante pour éveiller; 3.o ou une sensation, soit de celles qu’on appelle externes ou internes, produite par les modifications spontanées que les organes peuvent prendre. Ce premier anneau de la chaîne une fois donné, tout le reste se passe comme dans la veille où les idées s’associent souvent de la manière la plus bizarre, chez tout homme qui ne réfléchit pas sur un objet bien déterminé. Toute la différence que je vois entre celui qui s’abandonne à ses rêveries étant éveillé, et celui qui songe, c’est que le premier reconnaît de temps en temps par les sensations extérieures que produisent sur lui les objets environnants, que les choses rappelées par son imagination ne sont pas présentes; tandis que l’autre dont tous les sens sont assoupis, tombe complètement dans l’erreur, regarde comme réels les objets auxquels il pense, faute de sensations externes qui viennent l’avertir de sa vraie situation. Nous nous étonnons de la bizarrerie des songes sans faire attention qu’une infinité d’institutions, même sages, paraissent aussi bizarres, seulement parce qu’on ne se donne pas la peine d’examiner les liens quelquefois subtils qui en unissent les parties. Quoi de plus semblable à un rêve que le langage usité dans les sociétés de francs-maçons? cependant écoutez l’interprétation, et vous verrez que tout se lie, que les idées rendues par cette langue sont unies par des rapports dont vous n’auriez peut-être jamais aperçu l’existence, sans le secours de l’instituteur. J’en dis autant des hiéroglyphes des Égyptiens, et enfin des songes eux-mêmes dont toutes les idées sont certainement liées par quelque rapport, quoique notre mémoire ne puisse pas toujours nous les rappeler.
Il est pourtant une circonstance qui doit rompre toute liaison dans un songe, c’est la production d’une nouvelle sensation qui a ses idées associées, et qui peut faire disparaître la première chaîne pour lui en substituer une autre. Dans ce cas toute liaison doit être interrompue; et si de semblables sensations se multiplient, le songe deviendra d’une bizarrerie extrême.
Si notre mémoire était assez sûre, je ne doute pas qu’en remontant à l’origine de nos songes, nous ne la trouvassions toujours dans l’une des sources que j’ai indiquées. L’homme occupé de projets, et qui souvent les réalise en idée, a l’avantage de jouir pendant son sommeil d’une illusion complète. Celui que le remords poursuit, et qui tremble de subir un jour la peine due à ses crimes, ne voit en songes que l’effrayant appareil de son supplice. Ainsi l’imagination continue de se retracer les objets qui lui sont familiers, et les reproduit avec toute la vivacité d’une sensation, attendu qu’aucun objet extérieur ne vient rappeler à l’individu que ces images sont une pure illusion de l’esprit. Quoi in vita usurpant homines, cogitant, curant, vident, quoique agunt vigilantes, agitantque, ea sui cui in somno accidunt minùs mirum est.(11)
Lorsqu’une impression intérieure est assez vive pour être sentie, sans cependant l’être au point de produire ce transport de forces vers la périphérie qui constitue le réveil, cette sensation appelle une suite d’idées associées qui se prolonge plus ou moins. Le chatouillement qu’une paille excite sur les lèvres d’une personne qui dort, rappelle l’idée d’un insecte incommode, et détermine le mouvement propre à le mettre en fuite. La piqûre d’une puce, comme dit Descartes, est convertie en un coup d’épée qui vous transporte sur le champ de bataille, et vous retrace la vue de vos ennemis. Une couverture trop légère qui ne met pas suffisamment à l’abri de l’impression du froid, fait rêver qu’on se trouve exposé nu aux injures du temps, qu’on est sans vêtement au milieu d’une place, qu’on est dans l’obligation de passer à travers une assemblée, sans avoir à sa portée des habillements pour le faire sans indécence, etc.
Mais les songes qui reconnaissent cette origine n’ont pas même besoin d’une impression, et il suffit qu’une affection particulière des organes des sens extérieurs, ou l’usage intérieur de certaines substances produise en eux la modification nécessaire à la perception des sensations, pour que la chaîne des idées commence. Ce cas doit se rencontrer non seulement dans la disposition aux sensations fantastiques dont il est parlé, mais encore lorsqu’on a pris certains aliments, ou poisons qui semblent porter leur impression plus particulièrement sur les sens. Le Professeur Vigarous a été témoin des visions fantastiques que l’usage immodéré de l’opium produisait sur Thortone, Médecin Anglais, disciple de Brown qui abusait de ce narcotique. Ces faits, et mille autres de cette nature, rendent vraisemblable ce qu’on a rapporté de Pythagore; savoir : qu’il avait trouvé l’art de procurer des songes d’une nature déterminée par le moyen de la nourriture qu’il conseillait.
Enfin, une sensation interne survenue en dormant, nous transporte promptement au milieu des circonstances dans lesquelles elle se fait éprouver pour l’ordinaire, ou bien, nous retrace les objets qui nous servent habituellement à la faire cesser, si elle est ingrate, ou à la porter au comble si elle est agréable. Ainsi la sensation de faim ne tarde pas à nous faire assister en songe à un bon repas. On connaît l’influence de l’orgasme génital sur la production des songes voluptueux. Un homme digne de foi m’a cité l’histoire d’une femme sensible à l’excès, qui, par le secours de ses songes, prédit la pluie avec plus de certitude qu’un baromètre. On peut s’attendre à voir paraître ce météore, dès que son rêve lui présente de l’eau; par exemple, lorsqu’elle se figure être sur le bord d’une fontaine, passer une rivière, voir tomber la pluie, etc. Tout le merveilleux de l’histoire disparaît par l’application du principe de l’association des idées. Cette femme très sensible éprouve sans doute une impression de la part de l’humidité de l’air, semblable à celle que certaines personnes atteintes de douleurs anciennes, ou qui portent des cicatrices, ressentent dans les changements de l’atmosphère. Il est à croire que cette impression est chez elle assez légère pour n’être pas aperçue pendant la veille où tant d’autres objets viennent occuper. (12) Mais lorsque les sensations externes ne lui procurent plus de distraction, c’est-à-dire, quand leurs fonctions sont suspendues par le sommeil, la sensation intérieure provenant de la modification introduite par l’humidité de l’air devient dominante. Mais cette sensation se trouve associée avec l’idée d’objets qui accompagnent ordinairement sa perception. La personne est accoutumée à éprouver une semblable impression, toutes les fois qu’elle s’approche d’un lieu d’où s’élèvent des vapeurs aqueuses; il n’est donc pas étonnant que ces lieux se retracent à son imagination dès que l’impression vient réveiller leur souvenir.
J’explique de la même manière un fait rapporté par Manget(13) et que cet auteur me paraît avoir mal-à-propos regardé comme une preuve de l’influence de l’imagination sur le corps, tandis que je n’y vois que l’effet des sensations internes sur la production des songes. Un homme couché dans son lit rêva qu’un soldat Polonais lui lançait un coup de pierre et l’atteignait au sternum. La douleur l’éveilla, il fit apporter une chandelle, et il trouva sur sa poitrine une contusion qui menaça pendant quelques jours d’une dégénération gangréneuse. L’ecchymose me paraît un phénomène spontané, semblable à la formation d’un dépôt, c’est-à-dire, produit par quelque aberration des forces motrices. La sensation est l’effet de la rupture des vaisseaux, et le reste du songe n’est qu’une association d’idées.
Je donne enfin une semblable explication de ce que Pline rapporte au septième livre de son histoire du monde, quand il dit : Publius Cornelius Rufus, qui cum consule Mario fuit consul, oculorum usum amisit, cum id sibi contingere somniaret.

Telle est la théorie des songes que je trouve la plus vraisemblable; elle n’a pas, à la vérité, l’avantage d’expliquer le mécanisme de cette fonction; mais elle me paraît d’accord avec les faits qui sont le fondement de la physiologie et de la métaphysique. C’est d’après cette théorie qu’on peut assigner d’une manière générale quels sont les songes significatifs pour le médecin, c’est-à-dire, qui peuvent fournir des connaissances utiles sur l’état du corps. On peut dire que les songes qui sont une prolongation des pensées de la veille, ou une réminiscence d’objets déposés depuis longtemps dans la mémoire ne sont point médicinaux, ou, ce qui revient au même, ne dénotent aucun état maladif. Il est pourtant vrai qu’ils peuvent servir à rassurer le médecin, en lui apprenant qu’il n’existe dans les organes aucune modification contre nature dont l’individu ait conscience. En effet, puisque la perception d’une nouvelle sensation vient, comme nous l’avons déjà dit, rompre une chaîne d’idées, et en substituer une autre dont la nature est déterminée par celle de cette sensation; la continuation de la première chaîne, et la présence continuelle des objets auxquels le sujet a coutume de penser, ne nous permet pas de croire à l’intervention des sensations intérieures qui pourraient inspirer des craintes. Cette réflexion n’avait pas échappé à Hippocrate, et il a dit expressément : quaecumque insomnia mens hominis in noctem per somnum offert de diurnis actionibus, et reddit quomodo facta sunt, ea quae seriâ et justâ re per diem facta sunt, aut de quibus consilium initum est : haec homini bona sunt; sanitatem enim significant, propterea quod anima in diurnis consiliis perseverat, neque repletione, neque evacuatione aliquâ est victa.(14) Aussi les songes de ce genre intéressent-ils plus le moraliste que le médecin.
J’observe en passant que cette sentence d’Hippocrate est plus rigoureusement vraie que celle qu’on lit dans certains Séméïologistes, qui prétendent que les songes tristes, inquiétants, sont toujours de mauvais augure. Selon l’opinion de cet auteur, ils ne sont tels que lorsqu’ils ne ressemblent pas aux affections de la veille. Je conviens que l’on aurait eu raison de craindre pour la santé de l’épicurien Montaigne, s’il eut éprouvé quelque songe sinistre, lui qui n’en avait habituellement que des fantastiques, produits de pensées plaisantes plutôt ridicules que tristes, et qui tenait cette tranquillité autant de son naturel, que des efforts qu’il avait faits pour apprivoiser la mort, et pour se soustraire à l’esclavage des passions et des appétits. Mais lorsque l’esprit a contracté un penchant vers la mélancolie, et qu’il a pris cette teinte sombre qui fait les délices de certaines âmes, les songes lugubres ne doivent pas étonner; et quand Young et Ossian auraient vu dans le sommeil des tombeaux et des spectres, je ne les aurais pas jugés pour cela plus malades.
Il est des songes d’une autre espèce qui doivent évidemment être retranchés du nombre de ceux qui peuvent servir à la connaissance de l’état du corps : ce sont ceux qui sont produits par des sensations acquises au moyen de l’impression d’objets extérieurs. Ces sensations étant indépendantes de l’état intérieur, il est clair qu’elles n’ont aucun rapport avec ce qui fait le principal sujet des recherches du médecin.
Il n’en est pas tout à fait de même des songes qui proviennent de sensations produites par la modification spontanée des organes des sens extérieurs. Cette disposition du corps est déjà un état maladif qui menace l’individu de désordres plus grands. En général, si on ne peut l’attribuer à une cause matérielle, elle atteste une viciation de la sensibilité qui prépare communément aux maladies connues des nosologistes sous le nom de Vesaniae.
J’ignore comment les causes matérielles des maladies peuvent affecter les organes des sens, de manière à les rendre propres aux modifications spontanées; mais tous les auteurs s’accordent à dire que cela est, et que l’espèce de modification peut même fournir des inductions sur la nature de cette cause matérielle. Galien dit que la sensation de froid qui réveille souvent pendant le sommeil les idées de grêle, de neige, annonce une surabondance de pituite; que les visions d’objets jaunes dénotent la présence de la bile, et que la pléthore donne ordinairement lieu à des songes où l’on voit des objets rouges et enflammés. Nix vero, glacies et grando pituitam; color ruber sanguinem; flavus flavum bilem in corpore esse significant.(15) je ne sais jusqu’à quel point la théorie a influé sur une semblable sentence; cependant le grand Stahl a dit que les hémorragies actives étaient ordinairement précédées de songes, qui roulaient sur des objets rouges, des incendies, etc…. Un pareil témoignage ne me permet pas de douter un instant de la vérité du fait. (16) Au reste, Galien prétend même avoir observé ces visions d’objets rouges pendant la veille, chez un jeune homme disposé à une hémorragie critique. Le même rapporte encore qu’un lutteur auprès duquel il fut mandé, et qui avait songé qu’il était dans le fond d’une citerne pleine de sang, se trouva atteint d’une pléthore qui exigea des évacuations sanguines abondantes. Boerhaave, enfin, dit avoir connu des personnes qui pendant longtemps avoient rêvé qu’elles nageaient ou se précipitaient dans l’eau, et dont les cadavres présentaient un cerveau inondé de sérosité. (17)
On pourra me demander ici quels sont mes moyens pour distinguer ces songes de ceux de l’espèce précédente. Je dois avouer que je n’en connais pas de certains; mais cela ne nuit point à la vérité du principe que je viens d’établir, quoique la difficulté de l’application le rende moins utile. Néanmoins je proposerai une idée sur ces moyens et je la soumettrai au jugement du lecteur. Nous avons dit que, pour l’ordinaire, il y avait une liaison entre les idées constitutives d’un songe, liaison parfaitement analogue à l’association des idées, et qu’on peut reconnaître avec quelque attention. Nous avons ajouté qu’une suite d’idées pouvait être interrompue par toute sensation qui survient et établit une nouvelle série. D’après cela il est naturel de penser que plus il y a de liaison dans un songe, moins il y a eu de sensations intercurrentes, et qu’au contraire, plus un songe est bizarre, c’est-à-dire, composé de parties plus disparates, plus il a été interrompu par des sensations renaissantes. Dans ce dernier cas, on peut dire que le songe est composé de suites partielles, et attribuer avec vraisemblance chacune d’elles à une action particulière de la part des sens. Il sera donc vrai de dire alors que les songes extrêmement bizarres annoncent l’aptitude considérable des sens aux modifications spontanées, et par conséquent un état contre nature, puisque dans l’état de santé ils ne doivent acquérir ces modifications que par l’impression des objets externes. C’est ainsi que j’explique le passage suivant du livre d’Hippocrate déjà cité : Cùm autem insomnia diurnis actionibus adversantur, et de ipsis pugna aboritur, cùm sané hoc contigerit, turbationem in corpore significat. Et si quidem fortis fuerit, forte est malum : si verò levis, debilius.
D’après ce que j’ai dit sur le pronostic de ces sensations trompeuses que les sens nous font éprouver, et d’après ce que je viens d’ajouter, je crois facilement ce que rapportent tous les auteurs sur les signes précurseurs de la manie et des autres aliénations d’esprit, signes parmi lesquels ils placent l’extrême bizarrerie des songes.
On sait que le vertige consiste dans une dépravation de la vision qui nous fait voir les objets ambiants dans un mouvement continuel autour de nous. Il est des signes précurseurs du délire maniaque, comme Pinel l’a vu souvent. Il peut survenir pendant le sommeil, et alors les objets auxquels on rêve, paraissent agités d’un semblable mouvement. C’est vraisemblablement ce qu’Hippocrate a voulu dire par ce passage : fugere autem ipsa astra celeriter, esse que quae ea persequantur, periculum denunciant futurae insaniae hominis, si non curatus fuerit.(18)
Mais on ne doit pas hésiter à mettre au nombre des songes médicinaux, ceux qui offrent des sensations que l’imagination ne rappelle jamais, telles que de saveur ou d’odeur. Les sensations perçues par le goût et l’odorat ne produisant point des idées, l’esprit n’ayant pas le pouvoir de les retracer, on peut dire qu’elles sont toujours dans les songes l’effet d’une modification spontanée, et par conséquent, d’après ce qui a été dit, les songes que les sensations présentent, doivent être pris en considération par le Séméïologiste. J’ignore encore l’induction précise qu’on peut en tirer; cependant si j’en crois Galien, la présence d’humeurs corrompues ou la surabondance des matières fécales donne lieu à des sensations nocturnes d’une odeur désagréable, et par association des idées à des songes où l’on croit être embourbé dans la fange ou dans des ordures. Sic etiam in coeno que agere quidam se somniant, quod eos nimirum corruptos, foetidos, putridos que humores habere, aut intestina stercore esse repleta est indicium.
Je viens maintenant aux songes qui sont produits par des sensations intérieures. On doit hardiment les compter parmi les significatifs, puisque l’imagination n’a aucun pouvoir sur ces sensations, et qu’elles dépendent toujours de l’état du corps. Leur signification est alors relative à la nature de la sensation qui leur donne lieu, de sorte que tout le soin du Séméïologiste doit être de chercher à la découvrir, et d’en tirer les inductions que fournissent les sensations internes de même nature. Comme les songes de ce genre sont les plus importants pour le médecin, ce sont aussi ceux dont on trouve le plus d’exemples dans les divers auteurs, et sur lesquels les préceptes des Séméïologistes sont les plus précis et les plus certains. Selon Hippocrate, un songe dans lequel on croit manger des aliments dont on a coutume d’user, annonce un besoin de nourriture. Il est trop facile d’apercevoir la liaison des éléments de ce songe, pour ne pas adopter l’interprétation du Père de la médecine. Le besoin des aliments se fait sentir par des appétits; ordinairement, nous approchons de nous les choses capables de contenter ces derniers; pourquoi serait-on donc surpris que l’idée de l’acte propre à satisfaire un désir, se liât à celui-ci dans un songe? On doit, ce me semble, expliquer de même les songes voluptueux.
Galien rapporte qu’un homme rêvait depuis quelque temps qu’une de ses jambes était de pierre, peu de jours après ce membre devint paralytique sans que personne s’y attendît. Je ne vois dans ce signe précurseur rien qui ne se lie à merveille avec la théorie que j’ai établie. On sait que les engourdissements et l’insensibilité d’un membre, sont les avant-coureurs les plus ordinaires de la paralysie. Le mouvement de la veille produisait vraisemblablement chez ce sujet une excitation suffisante pour que l’activité ne fût pas altérée, mais cet accident survenait pendant le repos et particulièrement pendant le sommeil. L’individu sentant en ce moment que son extrémité devenait un corps étranger, a pu facilement associer à cette sensation l’idée d’une matière brute qu’il a regardée comme constitutive de sa jambe.
Un médecin de ma connaissance m’a dit avoir vu un malade qui, depuis quelques nuits, était réveillé par des songes où il croyait avoir un poids énorme sur la région épigastrique; c’était tantôt une enclume, tantôt un maison. Les signes d’une saburre gastrique étaient d’ailleurs assez clairs; un émétique fit disparaître cette indisposition et les songes.
Tout le monde sait que le cauchemar donne lieu à des songes relatifs aux idées de celui qu’il attaque, et que les personnes qui ont habituellement peur des sorciers, croient (25) qu’un esprit malfaisant leur comprime la poitrine, tandis que celles qui ont trop de philosophie pour craindre les événements surnaturels, s’imaginent être suffoqués par un poids énorme.
J’observe que souvent le sens intérieur nous avertit de l’état de nos forces, et nous donne la prévoyance de la terminaison que prendront nos affections, sans qu’il nous soit possible d’analyser nos sensations, ni d’en donner une idée aux personnes qui n’en ont pas éprouvé de semblables. On sait combien le découragement et le désespoir qui accompagnent certaines maladies dangereuses, telles que la peste, annoncent presque sûrement la mort. On s’abuserait de croire que ces affections sont la cause du péril. Il est évident qu’elles en sont l’effet, puisqu’on les rencontre chez des personnes d’une âme forte, et qui ont bravé la contagion. J’ai vu une fille de douze ans attaquée d’une maladie de langueur, qui abrégea ses jours par une erreur dans le régime : tourmentée des suites d’une indigestion, elle était sur les genoux de sa mère, lorsqu’une de ses parentes entra. Elle lève la tête, et de l’air le plus désespéré, elle s’écrie : que la mort est terrible!…. Sa parente lui répond, pour la consoler, que la mort est encore loin d’elle; mais la malade lui réplique : non elle est là, elle penche la tête et expire. De même, on compte beaucoup dans les maladies aiguës sur l’espérance du malade, qu’il ne faut pas confondre avec un état de sensibilité qui le rend, pour ainsi dire, étranger à ses maux, et qui est un des signes les plus assurés de malignité et de délire. Or, il arrive souvent que les affections de désespoir, de crainte, d’espérance, surviennent pendant le sommeil, et se lient avec des idées qui leur sont relatives. Par exemple, les fièvres putrides s’annoncent assez souvent par des songes troublés et effrayants. Un de mes plus chers amis songea, dans l’apogée d’une maladie aiguë très dangereuse, qu’il était au milieu d’un lac très étendu, sans secours, sans avoir d’autre moyen pour se sauver que quelques pierres qu’il découvrait de loin en loin, et sur lesquelles il cherchait à marcher en gardant l’équilibre avec peine. J’ai regardé ce songe comme l’effet du sens intérieur qui avertissait le malade de la gravité de son affection, mais qui lui apprenait aussi les ressources qu’il avait en lui pour se sauver.
De tout ce que je viens de dire, on peut conclure que l’observation et l’interprétation des songes peuvent fournir des secours intéressants dans l’exercice de la séméïotique; que l’art d’interpréter les songes a été mal connu de ceux qui ont prétendu établir un rapport constant entre les choses vues en songes, et tel état du corps; qu’il est impossible de donner règle précise sur la signification de tel songe ordonné de telle manière; que tout le secret de cet art consiste à suivre la filiation des idées qui composent le songe pour remonter à son origine, et que c’est dans la sensation qui a produit cette suite d’idées qu’on doit chercher les signes de l’état intérieur du corps. Je conviens que cette analyse est très difficile, et que peu d’hommes sont capables de la faire avec sagacité. Mais je n’ai jamais entendu le Professeur Fouquet donner l’art d’estimer les signes, comme bien facile et à la portée de tout le monde.

(27)Cet ESSAI a été présenté et soutenu à l’École de Médecine de Montpellier, le 8 Germinal an IX.
PROFESSEURSDE L’ÉCOLE DE MÉDECINE DE MONTPELLIER.
Médecine légale. G.J. RENÉ, Directeur.
Physiologie et Anatomie. C.L. DUMAS. J.M.J. VIGAROUS.
Chimie J.A. CHAPTAL.J.G. VIRENQUE.
Matière médicale et Botanique. A. GOUAN.J.N. BERTHE.
Pathologie. J.B.T. BAUMES.P. LABABRIE.
Médecine opérante.A.L. MONTABRÉ.
………………Clinique interne. H. FOUQUET.V. BROUSSONET.
Clinique externe. J. POUTINGON.MEJAN.
Accouchements, maladies des femmes, éducation physique des Enfants J. SENEAUX Paul Joseph BARTJEZÉAuguste BROUSSONET.
A MONTPELLIER, DE L’IMPRIMERIE DE JEAN MARTEL AINÉ, AN IX.

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