Sami Tchak

Le Paradis des chiots

Togo   2006

Genre de texte
roman

Contexte
Ernesto a rencontré dans la journée Lucia Aguillera, une artiste peintre. Elle emmène Ernesto dans son atelier où il y a des portraits de jeunes garçons. Elle lui fait boire du vin tout l’après-midi. La nuit tombée, il s’endort. C’est à ce moment-là qu’il fait ce rêve, qu’il racontera plus tard à son ami Oscar.

Notes
Ce rêve se trouve dans la partie «Ernesto raconte 9».

Texte témoin
Le Paradis des chiots, Paris: Mercure de France, 2006, p. 192-193.




Rêve d’Ernesto

La femme à la tunique rouge

Et je peux te dire que des rêves j’en ai fait, de très tordus et de très raides, inutile de te raconter tout ça, sauf que je ne peux m’empêcher de raconter un petit bout de ce qui s’est passé entre nous, je veux dire dans l’un de mes rêves, et nous c’est-à-dire la femme à la tunique rouge et moi. Je suis assis au bord de la rivière, en train de pêcher à la ligne et je pense que c’est juste au moment où une carpe a mordu à l’hameçon que j’ai senti dans mon dos une présence. Tu penses bien que j’ai lâché ma ligne, saisi par la panique et décidé à me barrer, mais je l’ai vue là, les lèvres enflées, oui, enflées, la femme à la tunique rouge, toujours habillée de sa tunique et de son pantalon rouge, pieds nus. Elle m’a dit, Ernesto, les abeilles m’ont piquée. Elle a la bouche mince, la voilà maintenant avec des lèvres enflées, pas pulpeuses, mais enflées, c’était vilain, mais je n’ai pas osé lui dire C’est vilain, je lui ai pris la main, je lui ai dit, Pardon pour les abeilles, pardon. Je pense que c’est elle qui a eu l’idée de nous conduire à bord d’une pirogue pourrie, longeant la rivière, pour aller nous isoler dans une hutte nue. Je crois, et à l’intérieur de la hutte nue, elle m’a dit, Ferme les yeux, tu ne les ouvriras que quand j’aurai compté de dix à zéro. J’ai obéi et elle a compté de dix à zéro. Et quand j’ai ouvert les yeux, il n’y a plus de hutte, je suis sur un sol nu, en plein jour, un sol nu et craquelé. Et quand j’ai levé la tête vers le ciel, je l’ai vue, elle, la femme en rouge, emportée vers le soleil par un énorme cerf-volant qui a la forme d’un condor, d’un joli condor. Je me suis alors mis à hurler et c’est comme ça que je me suis réveillé.

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