Nicolas Page

Super G

Suisse   2005

Genre de texte
roman

Contexte
Louise vient de quitter Paul, son mari. Elle se réfugie à la montagne et devient monitrice de ski. En même temps, elle repense à sa vie passée avec Paul. Elle se demande si sa relation avec Jean, un autre personnage, est de l'amitié ou de l'amour. Toute tournée vers elle-même, elle raconte sa propre histoire à la deuxième personne.

Après avoir fini sa journée sur les pistes de ski, elle revient à la maison que Jean lui a prêtée, mais elle ne tient pas en place. Elle sort à la tombée de la nuit et marche à travers la forêt. Perdue, elle s'assied puis s'endort et fait ce rêve.

Par la suite elle comprend que l’homme peut se changer en ours, et l’ours en l’homme. Qu’il faut faire attention, car il y a des êtres avec qui elle ne fera jamais la paix.

Notes
Nicolas Pages est né à Lausanne.

Édition originale
Super G, Paris: Flammarion, 2005, p. 116-120.




Rêve de Louise

Rencontre avec l’ours

Tu te laisses à nouveau glisser dans le sommeil. Une forme étrange surgit devant tes yeux qui se change lentement en une forme animale. Et puis, dans l'obscurité de ta grotte, toute la matière de son corps semble produite par des étoiles. Son regard est aussi le contraire de tout. Tout s'inverse. L'intérieur devient l'extérieur. Et tu l'entends te dire:

— Tu peux venir!

Que tes envies déterminent ta vie. Cet ours est ton nouveau destin. Il est blanc comme l'éclair. Il paraît si fort. Si grand. Son regard est tendre. Ses yeux noirs sont joyeux. Il arrive près de toi. À son contact, tu fonds dans son épaisse fourrure. Tu t'évanouis dans sa douceur. D'un mouvement de tête, il t'aide à grimper. Tu t'agrippes à son cou. Tu te cramponnes de toutes tes forces. Tu es troublée et tu préfères ne pas regarder. Il commence de courir. Tu sens ses muscles. Tu sens sa force. Chaque enjambée te rapproche de lui. Vos corps s'imbriquent et vous ne faites plus qu'un. Tes joues se teintent. Tu transpires. Tu reprends vie. Dans cette course, la vitesse t'enivre. Soudain devant lui, tu te trouves nue. Il te présente à son pays. Après les étendues de pâturages, vous glissez vers la forêt. Avec le vent, tout le bois se met à onduler comme la mer. Les feuilles en vagues tentent de se frayer un chemin entre les troncs pour revenir vers le rivage. Mais lui préfère les profondeurs du lac avec ses ballets de poissons. Immersion. Sous les montagnes de glaces. Tu te retrouves à l'envers, en Afrique, à Kuala Lumpur, aux îles Salomon. La bouche grande ouverte tu ne peux rien dire. Tu as été jusque-là tellement satisfaite de ce que tu as vu mais tout est balayé en un instant. Tu peux à peine bouger les lèvres. Tes soucis t'ont rouillé le système et l'esprit. Tes buts n'étaient qu'illusions. Tu t'es servie des autres pour tes propres fins.

Tu n'avais pas imaginé que le monde recelait autant de mystères. Tout n'est que superposition. Certains ne parlent que d'illusion. Tu parcours le temps comme tu traverses un tunnel. Tout n'est qu'ascension. Verticale. C'est la grande unification. De bas en haut, de haut en bas. La tête perchée dans les nuages, tu as passé suffisamment d'heures pour que le monde d'en bas t'attire comme un aimant. Derrière les étoiles profondes, l'ours t'enseigne le langage de la nature souterraine. Il mord les racines d'un sapin. Et le sapin se rebelle. Une longue poursuite s'engage qui vous mène aux portes de l'aube. Et dans un ultime effort, l'arbre lance toutes ses branches vers lui. L'attrape et l'éjecte dans le firmament.

Quand tu te réveilles, la Grande Ourse est haute sur l'horizon…

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