Jacques Chessex

Judas le transparent

Suisse   1982

Genre de texte
roman

Texte témoin
Paris : Grasset, 1982, p. 93-94.




Le rĂȘve de Johanna

Nue sous un arbre

J'ai fait un rĂȘve. C'Ă©tait midi. Je marchais sous des arbres, pas dans la forĂȘt, dans un verger, je crois, j'Ă©tais avec Pierre Turner et nous nous tenions par la main. Pierre portait un habit de velours roux comme sa barbe. Moi, Johanna, j'Ă©tais nue, de temps en temps on s'arrĂȘtait, il me collait contre un tronc d'arbre et il me caressait les seins. Ah, c'Ă©taient des cerisiers, les arbres. Je le sais, parce que maintenant je me rappelle que je levais la tĂȘte au ciel quand Pierre me pelotait, je voyais au-dessus de moi des grappes de fleurs blanches pleines d'abeilles qui bourdonnaient. Les cloches des villages sonnaient. Tout Ă  coup mon pĂšre a surgi au milieu du verger, comme ça, furieux, je ne sais pas d'oĂč il venait et je ne le saurai jamais. Il est sorti de terre comme une apparition, tout noir, il a sautĂ© sur Pierre et il a commencĂ© Ă  le battre. Pierre ne bougeait pas, d'abord il a encaissĂ© les coups, puis il s'est mis Ă  gĂ©mir, Ă  pleurer, il pliait, il se recroquevillait comme pour vomir. Alors le vieux Turner est tombĂ© d'un arbre sur le dos de mon pĂšre et il l'a assommĂ© avec un bĂąton.

Je ne sais pas d'oĂč vient ce rĂȘve. Il est aussi fou que tous les autres rĂȘves que je fais depuis que j'ai douze ans. J'ai remarquĂ© que je rĂȘvais moins quand je ne buvais pas. Le verger, j'y pense, c'est peut-ĂȘtre Ă  cause du dimanche des Rameaux. Mais, de toute façon ça n'a pas de sens.

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