Emily Brontë

Wuthering Heights

Angleterre   1847

Genre de texte
Roman

Contexte
Il s’agit du deuxième rêve de Lockwood, le narrateur, pendant la nuit passée à la propriété de Heathcliff, les Hauts de Hurle-Vent. Grâce à ce rêve, le lecteur «rencontre» pour la première fois Catherine, la protagoniste féminine principale. Dans ce rêve-ci, Lockwood reste conscient du lit de bois dans lequel il est couché, ce qui rend plus floue la frontière entre le rêve et l’état de veille, le rêve et la réalité. Catherine apparaît dans le rêve comme une enfant triste, solitaire, abandonnée. Son apparition dans le rêve de Lockwood peut être interprétée comme une tentative de la part de son esprit d’entrer en contact avec lui. Le séjour de Lockwood aux Hauts de Hurle-Vent a lieu à peu près vingt ans après la mort de Catherine. Voilà pourquoi, dans le rêve, elle dit être perdue dans la lande depuis vingt ans. Quand il s’était endormi, Lockwood ne savait pas encore combien de temps s’était passé depuis la mort de Catherine. Son second rêve, donc, a un aspect de révélation. Ces courts récits de rêve ont la même fonction pour Lockwood que le récit narratif du texte pour le lecteur: ils fournissent un cadre imaginaire et cognitif qui permet de situer les détails souvent inquiétants des amours contrariées de Heathcliff et Catherine. Au chapitre 29, Heathcliff, qui est obsédé par le souvenir de Catherine, raconte qu'il ne pouvait pas dormir dans cette même chambre sans être visité par d'innombrables visions de Catherine, qui était soit à la fenêtre, soit dans la chambre. Vers la fin du roman, il croit s'entretenir avec son fantôme.

Texte original

Texte témoin
Les Hauts de Hurle-Vent, Paris: Librarie Séguier, Archimbaud, 1989, p.53-54. Traduit de l’anglais par Frédéric Delebecque.

Édition originale
Wuthering Heights, New York: St. Martin’s Press, 1968, p. 28-30.




Le deuxième cauchemar de Lockwood

La main de Catherine Linton

Cette fois, je me souvenais que j’étais couché dans le cabinet de chêne et j’entendais distinctement les rafales de vent et la neige qui fouettait. J’entendais aussi le bruit agaçant at persistant de la branche de sapin, et je l’attribuais à sa véritable cause. Mais ce bruit m’exaspérait tellement que je résolus de le faire cesser, s’il y avait moyen ; et je m’imaginai que je me levais et que j’essayais d’ouvrir la croisée. La poignée était soudée dans la gâche : particularité que j’avais observée étant éveillé, mais que j’avais oubliée. «Il faut pourtant que je l’arrête!» murmurai-je. J’enfonçai le poing à travers la vitre et allongeai le bras en dehors pour saisir la branche importune ; mais, au lieu de la trouver, mes doigts se refermèrent sur les doigts d’une petite main froide comme la glace! L’intense horreur du cauchemaur m’envahit : J’essayai de retirer mon bras, mais la main s’y accrochait et une voix d’une mélancolie infinie sanglotait : « Laissez-moi entrer! laissez-moi entrez! — Qui êtes-vous?» demandai-je tout en continuant de lutter pour me dégager. «Catherine Linton», répondit la voix en tremblant (pourquoi pensais-je à Linton ? J’avais lu Earnshaw vingt fois pour Linton une fois). «Me voilà revenue à la maison : je m’étais perdue dans la lande!» La voix parlait encore, quand je distinguai vaguement une figure d’enfant qui regarderait à travers la fenêtre. La terreur me rendit cruel. Voyant qu’il était inutile d’essayer de me dégager de son étreinte, j’attirai son poignet sur la vitre brisée et le frottai dessus jusqu’à ce que le sang coulât et inondât les draps de lit. La voix gémissait toujours : «Laissez-moi entrer!» et l’étreinte obstinée ne se relâchait pas, me rendant presque fou de terreur. «Comment le puis-je ? dis-je enfin; lâchez-moi si vous voulez que je vous fasse entrer!» Les doigts se desserrèrent, je retirai vivement les miens hors du trou, j’entassai en hâte les livres en pyramide pour me défendre, et je me bouchai les oreilles pour ne plus entendre la lamentable prière. Il me sembla que je restais ainsi pendant plus d’un quart d’heure. Mais, dès que je recommençai d’écouter, j’entendis le douloureux gémissement qui continuait ! «Allez-vous-en! criai-je, je ne vous laisserai jamais entrer, dussiez-vous supplier pendant vingt ans. — Il y a vingt ans, gémit la voix, vingt ans, il y a vingt ans que je suis errante.» Puis j’entendis un léger grattement au-dehors et la pile de livres bougea comme si elle était poussée en avant. J’essayai de me lever, mais je ne pus remuer un seul membre, et je me mis à hurler tout haut, en proie à une terreur folle.

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